L'histoire du Skjoldnaes

Le fils Aakster étant trop jeune pour naviguer, sa famille récupéra le bateau, l'entretenant jusque dans les années 60. Mais ce dernier ne put récupérer son dû une fois en âge de l'apprivoiser, car il entrainait de mauvaises relations avec le reste de la famille. En effet, le jeune Aakster marchait dans les traces de son père, là ou sa famille, d'origine plutôt bourgeoise, ne comprenait pas ces choix politiques.
Ne souhaitant plus s'occuper du deux mats, ces derniers confient le Skjoldnaes à Siemens, une entreprise allemande, qui utilisa le bateau pour réaliser des tests de radars et autres appareils technologiques pendant la guerre froide. Il nous est encore difficile de connaître exactement ce qu'il se jouait à l'époque, mais nous avons retrouvé des outils de haute technologie (pour l'époque) et des drapeaux de l'URSS. Il se dit que le voilier menait des missions d'espionnage en mer du nord et qu'il serait le premier à avoir rejoint saint Pétersbourg après la chute du mur de Berlin.
Au début des années 90, Le fils de Roelof trouva enfin un arrangement avec sa famille pour récupérer le voilier. Il s'engage alors pour l'écologie et déménage en Méditerranée dans les années 2000, battant le pavillon Sea Shepard. Ce dernier décède en 2021, laissant le voilier à Jenne, son fils unique. Durant les dernières années de sa vie il n'arrivait plus à entretenir le voilier qui, comme un symbole, dépérissait peu à peu avec lui.


Jenne, c'est un grand sensible qui marche lui aussi dans les traces de son père. Lorsqu'il évoque le Skjoldnaes, on sent une flamme dans ses yeux, la flamme des souvenirs et des utopies. Il lui rappelle sa jeunesse avec son père, à apprendre la voile ou la mécanique. Les après-midi à "glisser sur son petit côté" lorsque le vent était clément. Les dauphins au coucher du soleil lorsque son père tapait sur la coque pour communiquer avec eux. Mais aussi les souvenirs plus douloureux, de sa famille divisée et de son père décédé. Jenne n'est pas passionné de bricolage, avec le temps, il voyait le voilier se dégrader plus vite qu'il n'arrivait à le réparer.
Lorsque je l'ai rencontré en 2023, alors que je cherchais désespérément un voilier pour traverser l'Atlantique avec six sous, il avait quasiment laissé tomber. Comprenant qu'il n'arriverait plus à l'entretenir, il avait décidé d'en faire don à qui voudrait. Mais personne ne voulait. Une fois, un acheteur potentiel passa une nuit à l'intérieur du voilier. Malheureusement pour lui et heureusement pour nous, il plut cette nuit là. Le vieux bateau était devenu presque incontinent. Par on ne sait quelle magie, il pleuvait plus à l'intérieur qu'à l'extérieur. L'acheteur dû sortir une tente et ne remit plus les pieds sur le vieux gréement.
En mars 2023, un ami me transféra une annonce facebook, qui mentionnait le don d'un voilier, sans aucune photo ni information supplémentaire. Le soir même, on a traversé la France pour découvrir la potentielle supercherie. A trois heures du matin, on arrive sur le port de Gruissan. Sans clé pour ouvrir les grilles du ponton, on escalade et se retrouve face à une bonne centaines de voilier différents avec comme seul indice pour trouver le notre, le numéro de la place. Après 5 minutes de marche, on s'arrête devant la place numéro 54, bouche bée. Un magnifique voilier pirate, qui semble tomber en ruine. En y entrant, on découvre un chantier effrayant, des cable électriques pendent, un matelas moisi obstrue le passage, les fond de cale sont à l'air libre et l'atmosphère est quasiment irrespirable. Mais je ne peux m'empêcher de sourire.
Je me sens chez moi, comme si j'avais toujours connu ce bout de bois flottant. Est-ce parce que mon propre grand père à combattu pour la république d'Espagne en 1936 ? Auraient-ils pu se connaître ? auraient-ils pu être amis ? Quel lien y a t-il entre moi et ce voilier ? La seule chose dont je suis certain, depuis mon premier pas sur le Skjoldnaes, c'est que je dois continuer de porter les rêves qui sommeillent en lui.
Jenne me fit don du voilier pour un euro symbolique, m'offrant même la place au port pendant un an pour m'aider dans les rénovations. Sa seule consigne, étant de faire du voilier un lieu de partage, d'apprentissage et de vivre ensemble.






Roelof Aakster dans les années 30
Roelof Aakster dans les brigades internationales
Roelof Aakster a 39 ans, et vît aux Pays-bas. Très concerné par la montée du fascisme en Europe, il s'est engagé quelques années plus tôt dans le parti communiste Néerlandais. Lorsqu'il entend parler du combat en Espagne et de l'avancée des Franquistes, il ne peut résister à tout lâcher pour risquer sa vie en s'engageant dans les brigades internationales avec 600 autres Néerlandais.
Son Histoire commence pourtant bien loin des mers du nord, en Espagne en 1936. La guerre civile oppose alors deux camps, les Franquistes et les républicains. Ces derniers, revendiquent la création d'une république démocratique en Espagne. Certains d'entre eux, portent l'idée d'une vie plus simple mais heureuse, souvent aux prémices des courants de pensées actuels. Un jour, un officier républicain chargé de former les combattants, qui tenaient une arme pour la première fois, raconta que l'un d'eux jeta ses armes au sol au beau milieu d'un entraînement, jugeant que l'exercice était trop fatiguant. C'est ce vent d'utopie qui attire des habitants de toute l'Europe à venir se battre dans les brigades internationales.
De la guerre d'Espagne à Sea Sheperd en passant par la guerre froide, des Pays-Bas où il est né, à la méditerranée, le Skjoldnaes a toujours porté fièrement son nom.
Seul problème, il est le père d'un nouveau né. Roelof décide alors d'offrir un cadeau d'adieu à son fils, un symbole pour lui rappeler de toujours être libre. Un voilier en bois de 15 mètres de long qu'il nomme "Skjoldnaes", ou "protéger" en Danois.
Roelof rentre blessé et reste prisonnier politique jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale. D'après sa famille, il n'a plus jamais été le même après cette histoire. Quand à la guerre d'Espagne, les rêveries utopistes auront raison des républicains l'année qui suivit. Mais là ou les idées et les humains vivent et meurent, il y a des objets qui traversent les époques et racontent leurs histoires. Le Skjoldnaes était né, pas près de laisser ces rêves s'évaporer.
Le Skjoldnaes dans les années 90




Le 30 mars 2023, je me retrouve donc à Gruissan avec un voilier en bois de 22 tonnes à réparer. Seul problème, je n'avais jamais fait de voile, mis à part quelques sorties sur des petits cata-marrants en bord de plage avec mon père 10 ans plus tôt. J'ai donc appelé des amis, à commencer par Justine et Baptiste, qui sont toujours prêts à me filer un coup de main. Petit à petit, l'équipe s'est agrandit et la rénovation du voilier avançait. En mai, nous avions fini de déchiffrer les documents manuscrits en Hollandais qui expliquent le fonctionnement de l'électricité à bord, en juillet les voiles étaient réparées, en août le moteur ronronnait, et en Septembre, le voilier quittait le port pour la première fois depuis 10 ans.
Jenne nous aide à remonter l'enrouleur, juin 2023


Jenne remonte les voiles dans les années 2000
La sortie fut de courte durée puisqu'après avoir enfumé le port avec notre vieux diesel, les vagues et une fuite d'huile ont causée une avarie sur l'inverseur (qui nous permet d'avancer et de reculer), et nous nous sommes échoué dans le chenal à seulement 500 mètres de notre place. Mais l'important était là, un groupe joyeux et hétéroclite, vivait sur le Skjoldnaes. C'est là toute sa magie, sur le voilier, peu importe les divergences politiques ou culturelles, on est soudé.
C'est en comprenant son histoire et son héritage que l'on a imaginé le voilier du futur. Un lieu nomade, ou peuvent se rassembler toutes celles et ceux qui souhaitent imaginer et construire notre avenir.
L'histoire du Skjoldnaes est très complexe, elle se joue dans toute l'Europe depuis près de 100 ans. Nous sommes actuellement en pleine recherche historique, afin de reconstituer avec précision l'histoire du voilier. Ces quelques lignes tirées de nos discussions avec la famille Aakster nous ouvrent les portes de ces mystères.
Depuis janvier 2025, nous tentons de reconstituer cette histoire avec plus de précision, afin d'écrire un roman historique autour des évènements entourant le voilier. On fouille des archives, recueille des témoignages auprès de spécialistes, des anciens propriétaires, de toutes celles et ceux qui ont pu naviguer à bord. Enfin, en 2026 nous entamerons un voyage depuis Gruissan, notre port d'attache, jusqu'en mer du nord, pour retourner sur les traces du voilier.




Rénovation du Skjoldnaes, mai 2023
Première sortie du nouvel équipage en septembre 2023


